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Le Nouvel économiste: Le syndrome du numéro 2

Par Olivier Pelleau

Caroline Castets: Un numéro deux a-t-il les défauts qui sont des qualités nécessaires pour être un numéro un ?

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Le Nouvel économiste: Le syndrome du numéro 2

Ils ont tout pour prendre le pouvoir – la position, les compétences, la légitimité… – et pourtant, nombreux sont les numéros 2 qui, en dépit de cette position idéale dans l’organigramme, resteront abonnés aux seconds rôles et ne succèderont jamais au grand patron.

Certains – les éternels adjoints – car, au pouvoir exécutif du dirigeant, ils préfèrent celui de l’influence des hommes de l’ombre. D’autres, car en dépit de leurs ambitions, il leur manque ce “cerveau droit”, cette capacité à prendre certaines décisions non seulement seuls mais aussi sur une simple intuition qui fait la carrure d’un dirigeant. A ces éternels recalés au fauteuil de numéro 1 s’ajoute la catégorie de ceux qui ont franchi le cap de l’ultime promotion mais qui, une fois en place, développent un syndrome du numéro 2, regrettant la sécurité de leur ancien statut de second.

Enfin il y a les élus. Ceux qui cumulent talent et envie de diriger et passent avec succès du rôle de dauphin à celui de leader. Parfois au prix de véritables luttes – contre leur ex-mentor ou leurs anciens réflexes. D’autres profitent simplement d’une bonne fenêtre de tir.

A première vue, ils cumulent tous les atouts: le cursus sans faute, la position hiérarchique élevée, la confiance de leur dirigeant… sont légitimes et compétents ; reconnus et intronisés. En un mot, ils ont le profil du poste : celui du futur patron. Pourtant, nombre de ces numéros 2 ne franchiront jamais le cap de l’ultime promotion, restant, sinon dans l’ombre, du moins dans cette antichambre du pouvoir qui fait d’eux d’éternels seconds. Plafond de verre, refus de la passation de pouvoir de la part du dirigeant, erreurs de casting… ?

Les hypothèses ne manquent pas pour expliquer cette bizarrerie managériale qui fait que la majorité des hauts potentiels, alors même que leur trajectoire semble toute tracée, que le numéro 1 lui-même les a désignés pour lui succéder, n’y parviendront jamais. Les statistiques en témoignent et, avec elles, nombre de spécialistes du management pour qui le phénomène s’explique aisément pour peu que l’on se penche sur la typologie du “second”.

Une catégorie hétéroclite se composant de trois profils types – le dauphin, l’adjoint, et le numéro un au comportement de numéro deux – obéissant chacun à des ambitions distinctes. Toutes n’étant pas, contrairement à ce que leur position pourrait laisser croire, de prendre le pouvoir. Raison pour laquelle, comme le souligne Jean-Pierre Piotet, fondateur de l’Observatoire des réputations, “le CAC 40 regorge de brillants numéros 2, aux pouvoirs immenses, totalement inconnus du public”… et qui le resteront. Puisque, en dépit de leurs compétences, ils ne veulent pas, ne peuvent pas ou ne doivent pas devenir numéro 1.

Le tandem dominant-dominé

Première catégorie : ceux qui n’aspirent pas au pouvoir. Ou plus précisément, pas à celui d’un dirigeant. Ce scénario, plus courant que l’on pourrait le croire, accompagne généralement un profil de second bien connu des experts et conseils en management : celui de l’adjoint. Cet homme de confiance dans les fonctionnements en binôme impliquant un dominant et un dominé. Figure essentielle à la bonne marche de l’entreprise puisqu’elle est totalement opérationnelle mais qui n’a pas vocation à succéder un jour à son numéro 1.

Motif : au pouvoir exécutif de ce dernier, elle préfère son propre pouvoir d’influence. Pour Marie-Jose Heimendinger, spécialiste du conseil en management, chacun peut y trouver son compte – à commencer par l’entreprise et ses actionnaires – “tant que la vision est partagée et les compétences complémentaires”. Comme cela a été le cas chez Accor avec MM. Dubrule et Pélisson, chez Lagardère avec Noël Forgeard et Philippe Camus, ou encore dans le tandem Henri de Castries-Denis Duverne chez Axa et François Pinault-Patricia Barbizet au sein d’Artémis, holding de la famille Pinault.

Un chasseurs de tête confirme : “D’une manière générale, les tandems professionnels composés d’un dominant et d’un dominé fonctionnent plutôt bien : le numéro 2 n’a pas vocation à exister par luimême mais est là pour compléter les compétences de l’autre. Voire, pour modérer ses ardeurs et être le professionnel qui permet la mise en œuvre de ses décisions.

Dans ce cas de figure, le numéro 2 n’a pas nécessairement envie d’accéder au rang de numéro 1.” Ceci alors même qu’il est, à première vue, tout désigné pour le faire, étant aussi compétent et opérationnel que lui. Seule différence : il lui manque l’envie de piloter et le goût de la prise de risque. Carence résolument éliminatoire selon Paul Minelle, directeur associé de Cibles & Réseaux, cabinet de conseil en accompagnement des dirigeants en situation complexe, pour qui la condition essentielle au passage du statut de numéro 2 à celui de numéro 1 reste l’ambition. “Sans elle, estime-t-il, les chances d’accession au pouvoir deviennent extrêmement faibles.” Une propension au refus d’obstacle que Marie-Jose Heimendinger explique par la nature même de ces profils d’éternels seconds. “La particularité de ces n°2-adjoints est que ce ne sont pas des figures de pouvoir, résume-t-elle.

Au point que lorsque la question de la succession se pose enfin, c’est rarement à ces bras droits historiques que l’on pense pour remplacer le numéro 1. Ils peuvent en avoir les compétences mais ils n’ont tout simplement pas la carrure du dirigeant.” Reste à savoir de quoi est faite cette carrure de dirigeant. De compétence, bien évidemment, mais pas uniquement puisqu’à cette donnée de départ s’ajoute une part incompressible d’immatériel et de non-quantifiable : le charisme, la capacité à créer du lien, à se former une vision et à la communiquer…

Plus essentiel encore : la capacité à prendre des risques. Et à les prendre seuls. “La règle dans toute organisation humaine – exception faite de la famille – est que le pouvoir ne se partage pas, remarque Paul Minelle. C’est le cas dans les entreprises comme dans l’armée, la mairie, l’Eglise, le syndicat… Partout, on voit un numéro 1 qui décide et délègue à un second qui exécute. Si bien que tant que l’on n’est pas soi-même le numéro 1, on n’est jamais exposé à la prise de décision.” Ce dont certains numéros 2 ont tout lieu de se féliciter. “Il ne faut pas oublier que le pouvoir n’est pas uniquement une source de fantasme, poursuit-il.

Il peut aussi s’avérer une source d’appréhension pour ceux qui ont peur de l’échec et du conflit – que celui-ci prenne la forme d’un affrontement syndical, d’un licenciement ou d’une fermeture de site. Voilà pourquoi pour certains, accéder au poste de numéro 2 est une transition, alors que pour d’autres, c’est un aboutissement.”

Position idéale qui offre bon nombre des avantages du pouvoir – à commencer par celui de se savoir le maillon indispensable dans l’écheveau managérial – sans toutefois les principaux inconvénients. “Un numéro 1 visionnaire aura besoin d’un numéro 2 très structuré, distancié et analytique ; très “cerveau gauche”, explique Olivier Pelleau, président France du cabinet international de coaching spécialisé dans le développement du leadership des dirigeants, Turningpoint. “Voilà pourquoi les tandems fonctionnant vraiment bien sont ceux qui ne sont pas inversables. Où le second sécurise le numéro 1, aplanit les risques et fait en sorte que les grandes décisions soient déclinées de façon opérationnelle dans le groupe ; mais ne pilote pas.” Certains, on l’aura compris, parce qu’ils n’en ont pas le goût. D’autres parce qu’ils n’en ont pas la capacité.

Performance versus excellence

Ceux-là ont beau donner l’impression de remplir toutes les conditions pour accéder au statut de numéro 1 – y compris celle de l’ambition -, ils restent cantonnés au second rôle.

Premier scénario pour ces éternels dauphins pour qui le poste de numéro 2 ne devait être qu’un tremplin : le dirigeant refuse de passer la main (comme chez Schneider Electric où JeanPascal Tricoire obtiendra le poste d’Henri Lachmann après que ce dernier aura testé successivement trois numéros 2). Manque de confiance, incapacité à déléguer ou simple question d’ego, le cas est fréquent : il peut amener un dirigeant à saboter sa propre succession de peur que son dauphin ne lui fasse de l’ombre. Paul Minelle connaît bien cette peur de renoncer au pouvoir : chez Publicis, n’a-t-elle pas poussé Maurice Levy à rester aux commandes jusqu’à 75 ans ? Elle incite aussi nombre de dirigeants à se choisir de supposés remplaçants qu’ils savent non conformes aux attendus du poste. “Certains numéros 1 sont tentés de recruter des numéros 2 uniquement parce que ceux-ci ne constituent pas de véritables rivaux virtuels, explique-t-il. Autrement dit, pour leurs qualités d’exécutant, d’expertise ou pour leur loyauté, mais pas pour leur leadership.”

Autre cas de figure : ceux qui n’accèdent pas au pouvoir, non qu’on les en empêche mais simplement, ils n’en ont pas les compétences. Compétences qui, encore une fois, dépassent de beaucoup la simple maîtrise de l’opérationnel comme insiste Olivier Pelleau : il faut davantage qu’un profil structuré et une bonne capacité à analyser les risques pour être numéro 1. Il faut cet équilibre entre cerveau gauche et cerveau droit qui, selon le gourou du management américain Jim Collins*, peut seul faire la différence entre performance et excellence. “Les numéros 2 affichent généralement une formation et un parcours sans faute qui font d’eux de véritables experts dans l’art d’analyser les risques, alors que le numéro 1 doit savoir prendre ces mêmes risques sur une part d’intuition et gérer l’angoisse qui va avec, ce qui requiert bien plus que des facultés intellectuelles”, explique Olivier Pelleau avant de rappeler que seuls ceux qui s’en sont montrés capables ont pu accomplir “de véritables percées”, Claude Bébéar, Antoine Riboud, François Michelin ou Edouard Leclerc. Ce dont peu de numéros 2 seront capables, faute de savoir travailler sans filet. “Le profil du numéro 2 est celui de quelqu’un formaté pour s’inscrire dans un cadre et qui y excelle, mais qui aura du mal à en donner lui-même un aux autres”, résume-t-il.

Raison pour laquelle l’immense majorité de ceux ayant occupé un poste à responsabilité élevée sans pour autant accéder à la prise de responsabilité qui accompagne un pouvoir solitaire ne tenteront jamais de créer leur propre structure ou, s’ils le font, échouent. “Car ils n’ont pas jamais été formés à la gestion de la responsabilité”, résume Paul Minelle. A l’idée de prendre seuls les décisions et de les assumer.

Spécialiste vs généraliste

Parmi les plus exposés à ce syndrome de numéro 2 : les profils de spécialistes, au niveau de technicité tellement élevé qu’il peut en devenir un handicap pour un poste de dirigeant.

Motif : un numéro 1 se doit d’être polyvalent. Faute de quoi, il ne peut appréhender l’ensemble des réalités et problématiques de son entreprise. Raison pour laquelle, rappelle un chasseur de tête, les éternels recalés au poste de numéro 1 seront d’abord ceux parvenus à un haut niveau hiérarchique par le biais d’une filière technique et en ayant gardé un profil d’expert nécessairement perçu comme incomplet lorsqu’il s’agira de prendre les commandes. “Pour être numéro 1, il faut une vision stratégique large, capable d’englober tous les enjeux de l’entreprise, du marketing à la finance en passant par la production et les RH, explique-t-elle. Ce qui correspond davantage à un profil de généraliste qu’à celui d’un technicien.”

Autre catégorie à risque : les profils plus administratifs qu’opérationnels. Moins perçus comme étant créateurs de valeur ajoutée. “Statistiquement, on sait que quelqu’un recruté comme numéro 2 à un poste de DG moyen avec des responsabilités de fonctionnement – de Chief Operating Officer par exemple – a peu de chance d’accéder un jour au rang de numéro 1, poursuit un chasseur de tête. Parce qu’il ne sera pas perçu comme un vecteur de croissance immédiat.” Hormis quelques exceptions – parmi lesquelles Jean-Dominique Senard, recruté comme numéro 2 et directeur financier de Michelin et appelé à succéder au président de la gérance, Michel Rollier, lorsque celui-ci partira à la retraite -, mais pour cet expert du recrutement, ce type de numéros 2 sera plus enclin à le rester “parce qu’ils n’inventent pas de nouvelles technologies, ne créent pas de nouveaux produits, n’appréhendent pas de nouveaux territoires et restent dans la gestion et l’administratif. Or, pour avoir une chance de devenir numéro 1, il faut être dans la création de valeur, dans l’apport visible de chiffre d’affaires, assène-t-elle. Soit en tant que patron d’une business-unit, soit en tant que responsable d’une nouvelle activité.

Alors là, oui, on sera perçu comme relais de croissance et candidat crédible au poste de numéro 1.” Dernières catégories particulièrement exposées à ce syndrome du numéro 2 : les femmes – premières touchées par les effets du plafond de verre et enclines à se juger plus compétentes pour servir une vision que pour la définir – et ceux ayant trop longtemps attendu au poste de n°2 pour être encore crédibles comme n°1 et qui, de ce fait, se voient écartés du processus de succession.

Comme Jérôme Pécresse qui, alors numéro 2 d’Imérys, vit la promotion comme numéro 1 lui échapper au moment du départ à la retraite du PDG de l’époque, Gerard Buffière, dont il était le successeur désigné depuis deux ans. “Quand l’heure est venue, il avait été trop longtemps numéro 2, était perçu comme légitime sur le plan de la compétence mais pas sur celui du charisme et de la stature de dirigeant”, se souvient un chasseur de tête.

La solitude du décideur

Ultime cas de figure : ceux qui ne doivent pas devenir numéro 1. Ou plutôt, n’auraient pas dû le devenir puisqu’il s’agit des numéros 1 frappés du syndrome du numéro 2. Un profil moins fréquent que les deux précédents mais aisément reconnaissable à sa difficulté à prendre des décisions ou, plus précisément, à les prendre seuls. Sans en référer continuellement au conseil d’administration, ou aux salariés.

Pour Norbert Chatillon*, psychiatre et spécialiste du management, c’est alors que surviennent les véritables risques pour l’entreprise. Lorsque le concept de n°2 cesse de désigner une simple position hiérarchique pour devenir un syndrome qui frappe le numéro 1. Lorsque l’on retrouve chez un dirigeant les caractéristiques propres à un second. “Dans toute structure organisationnelle, le numéro 2 est protégé par le numéro 1, rappelle Norbert Chatillon. Et si certains excellents numéros 2 font de mauvais numéro 1, c’est parce qu’ils ne supportent pas de renoncer à cette protection pour être confrontés à l’exposition et à la solitude absolue du poste de décideur.” Celle qui expose à la critique et, pire encore, au risque d’erreur. En se manifestant par une incapacité à trancher, le refus de cette part incompressible de solitude peut mener à une absence d’arbitrages et, au final, à une forme de statu quo contre-productive pour l’entreprise ainsi qu’à une perte de confiance de la part de ses différents publics. “Toute entreprise a besoin d’un décideur, répète Norbert Chatillon.

Au point qu’elle souffrira plus de l’absence de décision que d’une mauvaise décision.” Un numéro 1 digne de ce nom ne se reconnaît pas uniquement à sa capacité à prendre des décisions en toute connaissance de cause, mais à sa capacité à les prendre alors même qu’il manque d’éléments pour en analyser les effets ou de temps pour les peser et les évaluer. “Etre numéro 1, c’est oser se fier à son intuition et être capable de réagir vite ; trancher sans se perdre en analyses. Par conséquent, accepter non seulement le risque d’erreur mais aussi la dimension douloureuse de certaines décisions”, poursuit-il.

Alors qu’être frappé du syndrome du n°2, c’est précisément refuser de se soumettre à ces deux contraintes : le risque de se tromper et de devoir assumer seul son erreur et la part de violence que véhiculent certaines orientations lorsqu’elles viennent à s’imposer (licenciements, restructuration, fermeture de site…). “C’est refuser d’assumer la dimension de solitude absolue qui accompagne un poste de numéro 1 et lui préférer le confort moral du statut de second”, assène Norbert Chatillon. Statut loin des lauriers, certes, mais aussi des coups.

Le reengineering mental

Aussi exposé et solitaire soit-il, le sort de numéro 1 n’en demeure pas moins enviable aux yeux de beaucoup. D’où le fait que nombre de numéros 2 s’attachent à y accéder et y parviennent. Ceux qui, outre l’envie et le talent, remplissent les différents critères du poste et sont non seulement capables d’équilibrer cerveau gauche et cerveau droit, dimension intuitive et esprit analytique, mais aussi de faire preuve d’une forme d’humilité. Un comble lorsque l’on est parvenu au sommet et pourtant, une nécessité absolue estime Olivier Pelleau pour qui c’est précisément sur cette capacité à se remettre en question et à accepter ses faiblesses que se construiront la capacité d’entraînement et la force de persuasion d’un nouveau dirigeant. Son leadership. “Il est essentiel pour tout numéro 1 de travailler sur sa capacité de coopération, explique-t-il. Or la plupart ont beaucoup de mal à reconnaître un besoin d’accompagnement, à admettre qu’ils puissent encore apprendre quelque chose.”

Ou, plus complexe encore, désapprendre quelque chose. Ce à quoi ils devront pourtant se résoudre en passant du statut de second à celui de dirigeant et, par conséquent, en renonçant à certains réflexes. Ceux qui, précisément, les ont menés à ce poste en faisant d’eux de bons exécutants. “Le paradoxe pour tout numéro 2 qui devient numéro 1 tient au fait que ce qui lui a permis de réussir jusqu’à présent peut désormais devenir la cause de son échec, explique Olivier Pelleau. Car face à un poste désormais surexposé, la tentation peut consister à se dire : je vais répéter les recettes que je maîtrise pour limiter les risques. Et c’est précisément cela qu’il faut éviter.”

Motifs : les attendus du poste ont changé et les facteurs de succès aussi. “Si bien que la difficulté consiste désormais pour ces nouveaux dirigeants à admettre l’idée que, alors même qu’ils se trouvent en situation à risque, ils doivent faire appel à autre chose qu’à leurs anciens schémas de gestion du risque – le tout-contrôle, l’hyper-maîtrise des différents paramètres – et considérer que leur perception peut également devenir un élément de décision.”

D’autant plus difficile à admettre qu’on leur a appris le contraire des années durant, mais néanmoins indispensable affirme Olivier Pelleau qui en est convaincu : on ne peut définir un cadre pour les autres si l’on reste exclusivement sur cette dimension analytique. “C’est pourquoi on attend d’un numéro 1 non pas uniquement de la rationalité bâtie sur des tableaux XL mais une part d’intuition, résume-t-il. Celle-là même qu’on lui apprit à ignorer jusqu’alors et avec laquelle, désormais, il devra composer.”

Tuer le père

A cette obligation de grand écart intellectuel peut s’en ajouter d’autres, toutes aussi délicates ; à commencer par la nécessité, dans certains cas, de tuer le père pour prendre sa place. Toujours déplaisant mais dans certains cas nécessaire. Surtout lorsque le numéro 2 recèle un vrai potentiel de dirigeant et qu’il se sent à l’étroit dans ses actuelles fonctions. “Ceux qui ont une réelle capacité de numéro 1 ont généralement beaucoup de mal à se conformer à un poste de numéro 2 : ils trépignent, ils veulent voir leur vision prise en compte…”, reconnaît Olivier Pelleau qui rappelle que ce fut le cas il y a quelques années avec le numéro 2 de Vinci – Xavier Huilliard. Evincé car jugé trop virulent, il n’hésita pas à mobiliser le conseil d’administration pour écarter le numéro 1 de l’époque, Antoine Zacharias, et prendre sa place. Ultime recours pour ceux qui ne pourraient se résoudre à pousser leur supérieur dehors : partir.

Ce que fit Jérôme Pécresse en quittant Imérys pour prendre la tête d’une nouvelle business-unit chez Alstom – Alstom Renewable Power – lorsque Gérard Buffière préféra débaucher Gilles Michel du FSI pour assurer sa succession plutôt que de lui confier son poste de PDG comme prévu. A ces différents scénarios d’accession au pouvoir s’en ajoute un autre qui concerne chaque année une poignée d’élus et présente l’avantage de s’apparenter plus à un processus naturel qu’à une lutte armée. Soit parce que leur nomination au poste de second, puis de numéro 1, s’inscrit dans un processus de succession orchestré par un dirigeant conscient de l’enjeu de bonne gouvernance que représente une passation de pouvoir réussie. Soit parce que leur ascension s’est imposée comme la réponse évidente à une situation d’urgence.

Comme ce fut le cas en 2006 pour Michel Rollier à la mort soudaine d’Edouard Michelin et il y a quelques mois pour Tim Cook à celle de Steve Jobs.

*Jim Collins, auteur de From Good to Great

*Norbert Chatillon, auteur de Psychanalyse & Management (éditions Grégo).

Par Caroline Castets

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