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Harvard Business Review: Jeu de main, jeu de négociateur

Par Guila Clara Kessous

Guila Clara Kessous : Petit précis "manuel" à destination des professionnels de la négociation.

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Harvard Business Review: Jeu de main, jeu de négociateur

« Qu’est-ce que je fais de mes mains ? » Le regard perdu, l’homme ou la femme que je coache me fixe avec un air de supplication. La réponse ne se fait pas attendre : « Les couper, ce serait une idée ? » J’ai au moins la réaction que je souhaitais : un sourire… qui fait redescendre la tension.

Dans le cadre de la négociation, le non verbal le plus révélateur est toujours lisible dans les expressions faciales et le positionnement des mains. Sans faire de catalogue de « bonnes postures », voici des pistes d’exploration pour mieux comprendre ce qui se joue face à vous, et surtout en vous.

 

Prendre les choses en main

Une étymologie possible du mot « management » provient du latin « manus », qui signifie « main ». En effet, manager recouvre cette idée sous-jacente de « prendre en main » une équipe et de la mener à accomplir ses objectifs. Qu’il s’agisse d’un management horizontal ou vertical, il est intéressant de réaliser combien le rapport à la main est important dans tous les échanges « corporate » où la question du leadership entre en jeu. La négociation en est une parfaite illustration. Se demander « entre quelles mains » je suis, revient à se demander si, en tant que collaborateur, je suis »entre de bonnes mains », celles de mon supérieur hiérarchique. De même, en tant que supérieur hiérarchique, il est intéressant de se poser la question de qui est « entre mes mains » à propos de mes collaborateurs, voire qui ai-je « sous la main » dans mon équipe comme personne-ressource. Parce que la question du management touche à la main, il touche à l’action, il touche au « pouvoir faire », voire au « pouvoir » tout court. Il en est de même dans la négociation. Est-ce une situation où « j’ai les mains liées », où ma marge d’action est faible et mon pouvoir d’influence réduit ? Ou, au contraire, est-ce que « j’ai la main » dans cette négociation, suis-je en position de force, capable d’exprimer ma volonté ? Ces expressions, certes imagées, ne sont pas neutres vis-à-vis du rapport à la main, et il n’est pas étonnant que la codification des relations managériales, en particulier quand il va s’agir de négociation, se fasse par le biais d’une « poignée de main ».

Une franche poignée de main

Dans le grand amphithéâtre de l’Université de Harvard où Marjorie North enseigne le cours « Executive Communication Skills », on passe une demi-heure à chercher comment se serrer la main. Nous sommes une centaine, et chacun se voit serrer la main par l’enseignante, qui qualifie l’acte de « mou », « énergique », « plat », « agressif »… Ce qui est passionnant, c’est de prendre en considération le contexte. La plupart travaillent pour des gouvernements et viennent s’initier aux différentes pratiques culturelles, se sachant destinés à des postes de représentation. Ainsi, de futurs ambassadeurs sont envoyés par leurs Etats pour chercher une certaine universalité dans leurs communications et leurs négociations à venir. On apprend ainsi qu’il n’existe pas de poignée de main universelle. Pour un Asiatique, une poignée de main se doit d’être respectueuse, car toucher le corps de l’autre est une réelle intrusion dans la vie privée. Cette pratique donne lieu à une poignée de main que l’Européen ou l’Américain pourrait qualifier de « molle » ou de « souple » puisque l’interlocuteur refuse d’exercer d’emblée une quelconque emprise sur son partenaire. Au contraire, une bonne poignée de main, du point de vue américain ou européen, est un geste de dynamique : l’enjeu est de montrer d’emblée à son partenaire une énergie positive (lire aussi l’article : « Obtenir un Yes, Sí, Ja, Hai ou Da »). Rappelons que le « hug » à l’américaine, où les deux intéressés s’enlacent en se tapotant le dos mutuellement, remonte à un procédé traditionnel de vérification par le tâtonnement de la main de l’un sur le dos de l’autre que celui-ci ne porte aucune arme… Dans cette optique, se serrer la main a pour enjeu de rappeler l’égalité des deux parties, qui acceptent de ne pas recourir à des moyens de coercition.

Le conseil que je donne, pour une franche poignée de main, c’est de se rappeler que la franchise vient d’une certaine authenticité de l’individu qui s’adapte également à la culture de l’autre. Il n’y a pas de vitesse recommandée pour « dégainer », il doit y avoir une harmonie entre les deux parties. Que vous tendiez la main en premier ou que vous répondiez à une main tendue, sachez très rapidement, une fois le contact établi avec cette main ouverte et ferme qu’est la vôtre, vous adapter à la force qui vous est proposée. Si la main de l’autre partie est molle, adaptez en répondant avec la même intensité, même si cela va à l’encontre de ce que vous pourriez considérer comme naturel. Si, au contraire, la main est ferme et dynamique dans sa façon d’agripper la vôtre, sachez y répondre immédiatement en n’ayant pas peur de maintenir la main serrée, même de façon un peu plus longue que ce dont vous avez l’habitude. Cette interaction à la Macron/Trump vous donnera l’air d’accepter le défi qui vous est lancé et sera bien vu par la deuxième partie. N’hésitez pas à vous entraîner avec des proches.

Aux (pas si) innocents, les mains pleines

De nombreux négociateurs arrivent bardés de dossiers à leur rendez-vous. La main gauche s’agrippe à un dossier rempli et la droite est déjà tendue incidemment vers l’autre, avant de rapidement s’accrocher à la branche de lunettes pour les retirer, une fois assis. Sans faire de généralités, on peut aisément affirmer que toute personne qui a besoin d’avoir les mains occupées pendant une négociation – que ce soit sous la forme fixe du maintien de/à quelque chose (pochette, dossier, lunette ou podium scénique, entre autres) ou sous la forme du mouvement parasite (jouer avec ses doigts sur la table, se ronger les ongles, tripoter une bague ou une montre, entre autres) – a besoin de soutien et de maintien energétiques. Qu’elle soit consciente ou inconsciente, cette façon de neutraliser les mains est intéressante puisqu’elle est un dérivatif actif à ce qui peut être vécu comme passif dans la négociation : l’écoute. Or, l’écoute est primordiale dans la négociation. C’est en fait celui qui écoute le plus dans une négociation qui a le plus de chance de la gagner.

L’écoute, lorsqu’elle est sincère et respectueuse, n’est absolument pas passive. D’ailleurs, on parle d’écoute active, c’est-à-dire d’écoute qui permet de faire avancer l’action. Mais qui dit écoute dit également image de l’écoute, pour celui qui parle. Quiconque a recours à ces dérivatifs semble avoir besoin d’ancrer ses mains dans un certain état, ce qui permet de ne pas complètement montrer les mains. Mais, ne pas montrer, c’est dissimuler ! Or, pour bien négocier, il faut oser « montrer patte blanche » et, pour ce faire, accepter (au moins au début de la négociation) de poser simplement ses mains sur la table ou sur ses genoux pour que l’autre comprenne qu’il n’y a rien à cacher. Dans le cadre d’une négociation, il ne s’agit pas tant de construire d’emblée la confiance que de déconstruire la méfiance qui s’installe naturellement dès qu’il y a enjeu de pouvoir dans une relation. Accepter de se laisser voir et de laisser voir ses mains peut être perçu comme un signe de faiblesse, mais c’est le seul moyen interculturel pour que l’autre réalise votre effort d’authenticité et votre volonté d’entrer dans un rapport de politesse sincère.

Le cœur sur la main

En matière de posture, les recommandations les plus communes pour réussir une négociation sont de ne pas être trop émotif, de ne pas trop montrer d’émotion. Ce n’est pas pour autant qu’il faut s’en déconnecter complètement et paraître robotisé dans ses propos comme dans ses gestes. Si les mains doivent déconstruire la méfiance en osant se montrer d’emblée, cela ne veut pas dire qu’elles doivent rester coller à la table ou sur les genoux. Il y a mille et une variations possibles en ce qui concerne les gestes des mains. Il faut pouvoir les faire « décoller » à un moment donné. En général, elles décollent d’elles-mêmes lorsque vous arrêtez de vous focaliser sur elles et que vous êtes avec l’autre.

La générosité que suppose l’expression « le cœur sur la main », en négociation, n’a rien à voir avec ce que vous allez lâcher comme argent dans le processus, mais touche à une générosité de présence à l’autre, ce que j’appelle la « générosité présentielle ». Plus vous allez augmenter cette présence à l’autre, pour l’autre, et surtout plus vous allez la lui montrer, plus il va accepter de donner en retour. Le ballet des mains se fera naturellement si vous êtes dans un cadre conversationnel dans le but de trouver une solution avec l’autre et non contre l’autre. On évitera des gestes qui peuvent être très mal interprétés lors d’une négociation, comme le « lavage des main » (se frotter les mains l’une contre l’autre) qui peut donner l’impression que l’on est vénal. On évitera aussi des gestes qui peuvent vouloir dire l’inverse de ce que l’on veut dire dans la culture de l’autre. C’est le cas du fameux V de la victoire fait avec la paume de la main vers soi, qui signifie la victoire pour un Allemand, le chiffre deux pour un Américain… et un doigt d’honneur pour un Britannique. En règle général, on évitera donc de trop séparer les doigts ou de trop montrer avec l’index, surtout lors d’une négociation interculturelle. Se filmer est une technique que tous les spécialistes recommandent. Tant que vous n’accepterez pas de voir l’image que vous imposez à ceux qui négocient avec vous, vous ne pourrez pas correctement trouver une posture qui soit en phase avec vos propos, c’est-à-dire atteindre la congruence.

Guila Clara Kessous, Coach Turningpoint

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